LE SNIPER ou LE TIREUR D’ELITE

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HISTOIRE,SCENOGRAPHIE,DIALOGUES

najm aldin samman

“NAJEM  SAMMANN”

Traduire Emmanuel Brejon

PIECE DE THEATRE

          Une pièce avec portes et fenêtres. Entre la porte d’entrée, sur la droite de la scène, et une fenêtre à coté, des rayonnages de bibliothèque. Au fond de la scène, un écran blanc et de chaque coté, des rayonnages de bibliothèque et deux petites lucarnes. Dans le mur de gauche, encore une petite fenêtre et des étagères de bibliothèque. Au milieu du plateau, un sofa ( ou un banc?) double couvert de poussière. De l’autre côté une chaise (ou un fauteuil) à bascule . Les murs semblent anciens, troués par les coups de feu et autres bombardements. Sur la gauche, quelque chose qui ressemble à une petite terrasse ( un petit balcon?) avec deux vases de fleurs fannées. On aperçoit une chaise en bois derrière, vers la porte qui mène à la terrasse ( ou au balcon ?). On peut aussi diminuer le nombre de portes et fenêtres et aussi les rayonnages de livres en les remplaçant par des panneaux (?) d’aluminium de couleur bois,…certains ouvragés, au dessus des portes.

          Personnages et acteurs :

          Le sniper :……………………………………………………………. jeune homme, la trentaine.

          La jeune fille :………………………………………………………. elle  a une vingtaine d’années et joue aussi trois autres rôles : Ashtar, la mère et  la sœur.

          Le troisième tient aussi plusieurs rôles : Le chef (ou le dirigeant  ) qui apparaît sur l’écran, l’infirmier, Abel et le nouveau sniper.

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PREMIER TABLEAU

          Musique semblant venir de très loin (une musique d’autrefois ) tandis que sur l’écran, défilent des vues de villes dévastées par les guerres: Dresde, Nagazaki, Hiroshima, Guernica (guerre civile espagnole), Beyrout ( guerre civile libanaise), Kaboul, Mogadiscio, Bagdad, Alep, Homs, Deir ez Zor…etc…Un jeune homme fait son entrée en scène en arrivant par la salle entre les spectateurs ; il porte un fusil automatique ; il regarde les gens et semble aux aguets, prêt à réagir à la moindre alerte. Il monte sur la scène/ le plateau avec précaution, franchit la porte d’entrée et inspecte les lieux, allant observer  aussi aux fenêtres ; Il jette un regard indifférent aux livres sur les rayonnages mais avec la pointe de son arme, il en  fait tomber un , le pousse du pied de telle façon qu’il finit par s’immobiliser verticalement ! Le sniper s’aplatit alors par terre et met le livre en joue. On entend clairement un coup de feu. Sur l’écran les photos cessent de défiler . Il éclate de rire et se précipite vers le public avec son arme qu’il embrasse comme s’il étreignait une femme, la caressant et la couvrant de baisers avec passion.

Le sniper :

« Enfin !…tu es bien dans mes bras ! Comme je t’ai attendue ma belle ! Tu as une taille plus merveilleuse que celle de Brigitte Bardot ! »

          Sur l’écran apparaît le visage d’un dirigeant quelconque…Il porte un masque. Il tousse, le sniper se retourne et le voit. Il se redresse pour le saluer …quelque chose comme un  salut nazi.

Le dirigeant :

« Tu as bien reçu mon cadeau ? »

Le sniper :

« Plus beau que celui là, je n’aurais pas pu en rêver ! »

Le dirigeant :

« Tu vas t’en servir pour pour éliminer nos ennemis ! Nous avons choisi pour toi un immeuble d’où tu pourras les surplomber ! »

Le sniper :

« Et qui sont nos ennemis, chef ? »

Le dirigeant :

« Tous ceux qui ne nous ressemblent pas,qui ne sont ni de notre race, ni de notre nationalité, qui ne partagent pas notre religion, qui ne suivent pas notre voie, qui n’appartiennent pas à notre communauté, bref qui n’ont pas les mêmes croyances que nous ni les mêmes pensées ni les mêmes manières de vivre ! »

Le sniper ( stupéfait) :

« Ca va être du boulot, chef ! »

Le dirigeant (éclatant de rire) :

« En cadeau, je te les offre!Tue qui tu veux ! »

Le sniper :

« Même les civils !? »

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Le dirigeant :

« Peu importe !…Plus il y aura de victimes et plus ils seront en colère et ainsi , ils prendront les

armes…comme nous ! »

Le sniper (regardant son arme) :

« Comme nous !? »

Le dirigeant :

« Le jeu serait vite ennuyeux avec un ennemi de moindre envergure ! »

Le sniper :

« Quoique je ne comprenne pas tout ce que tu dis, chef, je n’aime pas trop tuer des lapins apeurés… »

Le dirigeant :

« Bientôt , tu risques trouver au milieu de ces lapins un sniper qui saura te mettre en joue ! Fais gaffe ! »

Le sniper :

« Je vais faire attention,chef ! »

Le dirigeant :

« Allez, en piste ! Au boulot ! »

          Le sniper le salue tandis que , sur l’écran, la photo du dirigeant se fige…Retour de la musique. Le sniper entreprend de nettoyer son arme et de faire briller la lunette d’approche tout en chantonnant avec la musique. Il s’empare de son arme, place son œil sur le viseur et se met à inspecter les spectateurs à plusieurs reprises, balayant lentement le public de gauche à droite…Il vise vers le milieu une personne de l’assistance puis, cessant de la fixer dans le viseur, il se redresse et l’interpelle :

« Hé toi , la bas, lève un peu la tête s’il te plaît, tu me caches ma proie ! Rassure toi ! Ce n’est pas encore ton tour ! »

          Et tout en riant, il va s’asseoir sur le fauteuil à bascule. Le bruit du fauteuil conduit ainsi vers le deuxième tableau.

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DEUXIEME TABLEAU

          La jeune fille apparaît à la porte à droite de la scène, un livre à la main. Elle fait mine d’ouvrir la porte.Le sniper, entendant du bruit, se cache derrière le sofa. La jeune fille entre et se dirige vers la bibliothèque pour remettre le livre à sa place. Tandis qu’elle en recherche un autre ,elle tombe sur celui que le sniper avait visé au début du tableau précédent. Elle se penche pour le ramasser et commence à tourner les pages. On voit que le livre a été troué par les impacts de balles et le public peut cependant découvrir le titre «  les Fleurs du Mal ».

La jeune fille :

« Les Fleurs du Mal » Charles Baudelaire. »

          Elle tourne les pages ; le sniper sort de sa cachette…

Le sniper :

« Ah ! C’est toi ! Qu’est que tu fais ici ? »

          La jeune fille recule vers la porte, tenant fermement son livre contre sa poitrine.

La jeue fille :

« Qui es tu , toi ? Que fais tu ici !?

Le sniper ( s’esclaffant de rire) :

« Je suis chez moi ici ! »

La jeune fille :

« Faux!C’est la maison de nos voisins ! »

Le sniper :

« Vos voisins !? »

La jeune fille :

« Ils ont été contraints d’abandonner leur maison ; ils n’appartiennent pas à notre communauté et ne partagent pas notre religion. »

Le sniper :

« Et ils t’ont laissé leur maison !? Tu as une permission officielle pour cela ?

La jeune fille :

« J’emprunte les livres de leur biblioltyèque, je les lis puis je les remets à leur place »

Le sniper :

« Oui, j’ai vu ! D’autres en auraient profité pour les voler ! »

La jeune fille (avec ironie) :

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« Tout ce qui était précieux a déjà été volé ! Ils n’ont laissé que les livres, ce vieux sofa et le fauteuil à bascule ! »

Le sniper :

« Tu as raison ! Qui se soucierait de livres en temps de guerre ? »

La jeune fille :

« Tu ne m’as pas dit qui t’a donné la permission d’entrer ici »

Le sniper ( montrant le portrait du dirigeant sur l’écran) :

« Le chef ! »

La jeune fille :

« C’est ton chef !? …mais de quel droit peut il se prévaloir pour confisquer le bien des gens ? »

Le sniper ( éclatant de rire et la menaçant de son arme) :

« Le chef dispose de droits que les autres n’ont pas ! »

La jeune fille (sarcastique)

« Dont celui de leur ôter la vie !? »

Le sniper :

« Oui, tout à fait ! La vie de nos ennemis ! »

La jeune fille ( brandissant le livre de Baudelaire, troué par les impacts de balles )

« Et c’est lui aussi qui t’a ordonné de tirer sur ce livre !? »

Le sniper (pouffant de rire ):

« J’étais en train d’essayer ma nouvelle arme et le coup est parti ! »

La jeune fille (avec ironie):

« En voilà une réponse étrange ! »

Le sniper :

« Et toi donc ! Tu lis bien des livres alors que la guerre fait rage ! »

La jeune fille

« Je lis …pour fortifier mon immunité contre la guerre ! »

Le sniper ( applaudit ironiquement en tapotant la crosse de son arme)

« Bravo! …Bravo ! »

La jeune fille :

« Et pour que grandisse ma haine de tous ses parrains »( elle le fixe du regard)  « et de tous ceux qui la servent comme des esclaves ! »

Le sniper cesse d’applaudir et se met à la dévisager…

La jeune fille :

« …et enfin…contre l’ennui ! »( elle cherche alors un passage dans le livre )  « Ecoute ceci ! »

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« Mais parmi les chacals,les panthères, les lices,

Les singes, les scorpions,les vautours, les serpents,

Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,…

Il en est un plus laid, plus méchant,plus immonde !…

Il ferait volontiers de la terre un débris…

C’est l’ennui ! »(1)

Le sniper :

« Je ne comprends rien à la poésie ! Ca ne m’interesse pas ! Je ne suis q’un simple chasseur d’un village oublié !

La jeune fille :

« Par la suite ils t’ont promu au grade de tireur d’élite !…pour tuer les gens ! »

Le sniper :

« Pour tuer, pour éliminer nos ennemis! tu devrais me remercier de te protéger ainsi ! »

La jeune fille :

« Si au moins tu protégeais toi même…. de toi même ! »

Le sniper ( il lui enlève le livre des mains )

« Qui est ce poète,  Charles Baudelaire !? »

La jeune fille :

« Qu’est que ça peut te faire puisque tu ne le connais même pas ! »

Le sniper :

« Et tous ces animaux qu’il énumère : léopards, scorpions, singes, chacals »( il pouffe de rire)    « c’est une publicité pour un parc animalier !? »

La jeune fille :

« L’animal ne tue que lorsqu’il a faim ou pour se défendre ! »

Le sniper ( comme s’il se sentait visé)

« Je ne suis pas un animal ! »

La jeune fille :

« Si tu as faim, je t’apporterai à manger. »

          Elle sort avant qu’il ne lui réponde ; Le livre tombe à terre, à ses pieds ; il s’accroupit, la tête entre les mains ; le livre est par terre devant lui ; Moment de silence…puis il tend la main, se saisit du livre et le feuillette…et se met à lire comme quelqu’un qui n’aurait pas lu depuis très longtemps.

« -O douleur ! O douleur!Le Temps mange la vie,

Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur

Du sang que nous perdons croît et se fortifie ! »(2)

          Il jette le livre dans un coin du coté de la porte du balcon ( ou de la terrasse!)

« Ouf !!!!…Mais c’est quoi cet ennemi ? »

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          Il se relève , son arme à la main ; à chaque fenêtre il cherche à viser quelqu’un…On entend des coups de feu répétés …Il sort sur le balcon ( ou la terrasse ) ; la lumière baisse ; seul le sniper est éclairé et il continue à tirer puis il s’asseoit confortablement sur une chaise ; il se met à jouer avec le vase de fleurs fannées de la pointe de ses chaussures , le bouscule…la lumière devient bleutée et on entend une musique qui semble venir de très loin…

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TROISIEME TABLEAU

            La jeune fille entre, un panier d’osier à la main , empli de pain et d’une outre de vin qui semblent venir tout droit d’une époque ancienne ou lointaine..le sniper se lève et ajuste son tir. Musique rhytmée. La jeune fille s’approche affectant une totale indifférence. Le sniper abaisse son arme et elle dépose le panier de nourriture devant lui à même le sol puis se retourne pour aller chercher un livre dans la bibliothèque. Le sniper, accroupi devant le panier , l’examine après avoir déposé son arme à coté de lui. La jeune fille a choisi un livre et le feuillette.

Le sniper :

« C’est quoi encore ce livre ? »

La jeune fille :

« l’épopée de Gilgamesh », 5000 ans d’âge!!!

          Musique de Ashtar : Dima Ourshou :

          Pendant qu’un nuage (?) bleu commence à se répandre pour emplir l’estrade la jeune fille ouvre le livre et se met à lire.

 « La femme ashtarite s’adressa en ces termes à Enkidu : « Mange ! »

Le sniper :

« C’est quoi ça ? »

La jeune fille/Ashtar :

« C’est du pain…pour que tu vives ! »

Le sniper prend un morceau de pain et le mord avec voracité.

Le sniper ( montrant le vin)

« Et ça ? »

La jeune fille/Ashtar :

« Du vin…pour que tu connaisses l’ivresse. »

Le sniper boit goulument

La jeune fille :

« Enkidu l’interrogea alors… »

Le sniper, l’interrompant, l’outre de vin à la main :

« C’est le chef qui t’a envoyé ainsi pour me tenter ? »

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Elle laisse retomber le livre, ne le retenant que d’une main, un doigt entre les page comme pour marquer un passage puis poursuit en improvisant …

La jeune fille/Ashtar :

« C’est Ashtar qui m’a envoyée …pour te dresser ! »

Le sniper ,buvant toujours goulument, tourne autour d’elle.

« C’est qui cette Ashtar ? »

La jeune fille/Ashtar :

« Ashtar, Ashtarout,Ashira : déesse de l’amour et de la beauté … j’appartiens à sa descendance et toi, qui es tu ? »

Le sniper/Enkidu :

« Je suis celui qui vit dans le désert…je cours et galope, plus rapide que la gazelle…je bondis et je précède les tigres…je fonds sur ma proie comme le lion, je rampe comme le serpent et je hurle comme le loup. Je bois l’eau des sources premières …je terrorise les bêtes de la forêt et toutes les cascades s’inclinent devant moi pour me laisser passer ! J’ai l’arc en ciel pour vêtement et ma flèche vole droit exactement où je veux…il n’est pas encore né celui qui serait plus fort que moi, plus rapide et plus agile ! »

La jeune fille/ Ashtar :

« As tu entendu parler de Gilgamesh ? »

Le sniper ( s’esclaffant, le vin commençant à produire ses effets…)

« Qui est donc celui là pour que j’entende parler de lui, »

La jeune fille/ Ashtar :

« Le roi d’Ourouk, à demi homme , à demi dieu.Les gens s’inclinent devant lui sur son passage et se prosternent lorsqu’il donne des ordres. Il tient dans sa poigne les destinées de ses sujets. Il impose les impots. A lui reviennent les trois quart des marchandises transportées par les caravanes, des récoltes, du gibier et de tous les arbres…Il enlève la fiançée à son fiançéet et s’empare de la virginité de la mariée avant son mariage. Il règne en tyran et en oppressseur …tant et si bien que les lamentations s’élèvent jusqu’au cieux où se tiennent les dieux. »

Le sniper/Enkidu ( chancelant sous l’effet de l’ivresse ) :

«  Je vais lui proposer un duel singulier ! »

La jeune fille :

« Il ressemble à ton chef ! »

Le sniper ( finissant de boire d’une traite et chancelant encore davantage )

« Mon chef !? »

          Il rit tellement qu’il en perd presque l’équilibre et finit par s’affaler sur le sofa, l’outre roule à terre à coté de lui….Commence un chant de Abed Azrié « Enkidu »….On peut passer la vidéo sur l’écran avec la version sous titrée en français.

          La jeune fille referme le livre et le range dans la bibliothèque…Elle sort et la lumière baisse progressivement.

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QUATRIEME TABLEAU

          L’infirmier s ‘avance dans la salle en direction de la scène,la lumière d’un projecteur le suit tandis qu’il grimpe sur le plateau. De la main droite, il tire une poche ( un sac?)…munie d’un tuyau transparent qui se termine par des tétines artificielles comme s’il s’agissait d’un robot pour traire le lait des vaches. De la main gauche,il tient une malette médicale et tandis qu’il monte sur la scène, le visage du dirigeant apparaît sur l’écran., tout cela dans une lumière blafarde.

Le dirigeant :

« Profite de son état d’ivresse pour l’anesthésier et tu pourras ainsi extraire ses spermatozoïdes ! »

L’infirmier ( ouvrant sa malette pour en extraire une seringue )

« A vos ordres, chef ! »

Le dirigeant ( riant ) :

« Quelle petite nature ce jeune homme ! Trois verres de vin et le voilàqui dort ! »

          L’infirmier plante l’aiguille dans le bras du sniper qui ouvre légèrement les yeux pour s’endormir aussitôt ! Il l’étend sur le banc puis, penché sur lui, il poursuit son opération sans que le public puisse suivre les détails…tandis que le dirigeant( le chef) , sur l’écran, bouge la tête de droite à gauche et de bas en haut pour tenter de voir ce qui se passe.

Le dirigeant :

« Un véritable étalon, ce chasseur ! »

L’infirmier ( poursuivant son opération) :

« On dirait qu’il est vierge , chef, notre homme ! Persone ne l’a embrassé à part sa mère ! Il a conservé tous ses spermatozoïdes !

Le dirigeant :

« Formidable ! Excellent !! »

                                                                                                                                                                                                                                                                   On entend le bruit de succion des trayeuses tandis que le sniper se contorsionne en poussant de longs soupirs comme des gémissements de plaisir…L’infirmier enlève la poche pleine de lait( !!!??)

Le dirigeant :

« Waouh !…les filles de joie vont se régaler ! »

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L’infirmier :

« C’est suffisant, chef ? »

Le dirigeant :

« Il y en a assez pour tout un régiment de snipers ! »

l’infirmier :

« C’est sûr,chef ! »

          Tandis qu’il raccroche le sac( la poche?) plein à ras bord, il referme sa malette et quitte la scène comme il est venu en repassant dans la salle. Le visage du chef sur l’écran s’efface progressivement tandis qu’il se frotte les mains de joie. Musique…Pendant ce temps le sniper se contorsionne …mais cette fois çi c’est sous l’effet de cauchemards ! Il plonge la tête entre ses mains comme s’il s’attendait à être frappé et hurle d’une voix exténuée :

« Ne me frappe pas ! Je ne suis pas ton fils ! Ni ton père pour que tu me frappes ainsi!Tu n’es que l’époux de ma mère ! »

          Il tente de se relever mais retombe du sofa à terre  tandis que se poursuit son cauchemard et qu’il a perdu toutes ses dernières forces.

« Et toi maman…je te dispense de chercher à me défendre! Je ne paraitrai plus jamais devant toi ! »

          Il n’arrive pas à se relever…il rampe jusqu’à la porte mais ses forces le lâchent avant qu’il ne l ‘atteigne et il reste prostré, le visage collé au sol. Il ronfle alors d’un sommeil profond.

          Musique. L’éclairage s’amplifie  doucement  comme si l’on passait progressivement de la nuit au jour.

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CINQUIEME TABLEAU

          La jeune fille entre en scène et le voit étendu. Elle tente de l’éveiller.

La jeune fille :

« Eh…toi ! »

Le sniper ( écartant sa main et encore plongé dans son cauchemard) :

« Laisse moi, mère ! Je vais partir et tu ne me verras plus ! »

La jeune fille ( jouant le rôle de la mère en changeant de voix) :

« Où ça mon fils ? »

Le sniper :

« Dans les forêts proches …je ne veux plus voir d’humains !

La jeune fille/la mère :

« Le tigre va te dévorer, mon fils ! Les loups vont s’emparer de ta chair puis les aigles te déchireront ! »

Le sniper :

« J’ai pris le fusil de ton époux ! Je ne laisserai personne s’approcher de moi.

La jeune fille/ la mère :

« Et tu vas me laissser seule !? »

Le sniper :

« Tu remplaçeras bien mon père par un autre homme ! »

La jeune fille/ la mère :

« Fils cruel que tu es! J’ai agi ainsi pour que tu vives ! »

Le sniper :

« Tu as agi pour ajouter le malheur au malheur ! »

La jeune fille/ la mère :

« Je ne savais pas qu’il était stupide,avare et méchant ! »

Le sniper ( lui prenant la main ) :

«Je t’en supplie, mère, si je reste là, je le tuerai ! »

La jeune fille/ la mère :

« Ne fais pas cela, mon fils ! »

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Le sniper ( se levant et hurlant à la face de sa mère ) :

« Laisse moi ! Fous le camp, putain ! »

La jeune fille/ la mère ( lui tenant tête, d’une voix moqueusecette fois çi ) :

« Putain !!! Voilà bien l’insulte que n’importe quel homme adresse à n’importe quelle femme !

Le sniper (se frottant les yeux tout en reculant) :

« …Encore toi ! »

La jeune fille :

« Oui, c’est moi. »

Le sniper ( riant ) :

« Et comme prétexte, c’est un livre que tu empruntes! Te mettrais tu à m’aimer ? »

La jeune fille :

« C’est plutôt que je te prends en pitié »

Le sniper ( la défiant ) :

« Je n’ai pas besoin qu’on me prenne en pitié ! Je n’ai besoin ni de ton pardon ni de toi ! »

La jeune fille :

« Je ne suis pas ta mère pour que tu me hurles ainsi au visage  ! »

Le sniper :

« Arrête de parler mal de ma mère ! »

La jeune fille :

« Il y a une seconde, c’est toi qui la traitais de putain !!! »

Le sniper :

« Moi !?…Quand cela ? Impossible ! »

La jeune fille :

« Tu délirais lors de tes cauchemards. »

Le sniper ( Assis par terre, exténué…Lumière au dessus de lui )

« La moitié de ma vie n’a été que cauchemards »

La jeune fille ( s’asseyant à ses côtés ) :

« Combien de temps as tu vécu seul dans les forêts ? »

Le sniper :

« L’autre moitié de ma vie ; »

La jeune fille :

« Parfois, je rêve de tout laisser pour aller vivre dans une forêt ! »

Le sniper :

« Toi aussi ? »

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La jeune fille :

« Et comme je ne peux pas, je l’échange pour une forêt de livres ! »

Le sniper :

« Depuis quand tu lis ? »

La jeune fille :

« La moitié de ma vie aussi ! »

Le sniper :

« Et l’autre moitié ? »

La jeune fille :

« Plongée dans les rêves ! »

Le sniper :

« Des rêves !? »

La jeune fille :

« Oui, des rêves à propos de la Cité Vertueuse ! »

Le sniper ( hochant la tête, moqueur ) :

« Ce sont les animaux dans la forêt qui sont les plus vertueux ! »

La jeune fille ( elle s ‘arrête brutalement …l’éclairage passe à une couleur légèrement vert sombre ) :

« Quand vas tu cesser de jouer les tueurs ? »

Le sniper ( lui saisissant les deux mains ) :

« Aide moi, je t’en supplie ! Je chassais seulement lorsque j’avais faim mais après je suis devenu végétarien ! »

La jeune fille :

« Courageuse décision ! »

Le sniper :

« J’avais visé la femelle d’un pélican ! Elle battait des ailes , elle se débattait lorsque je l’ai saisie;Je l’ai immobilisée, j’aisorti mon couteau pour l’immoler ; elle m’a lançé un regard que je n’oublierai jamais ! »

La jeune fille :

« C’est ainsi que tes victimes peuvent te regarder ! »

Le sniper :

« J’ai tenté de la soigner;J’ai sorti la balle de sa poitrine et je l’ai pansée avec des herbes sauvages et malgré cela…elle a continué à me lancer ce regard…Elle se mourait lentement ; je ne pouvais plus rien pour elle. »

La jeune fille :

« Malheureuse blanche pélicane ! »

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Le sniper :

« J’ai fabriqué pour elle une petite embarcation en bois ; je l’ai posée sur de la paille et des branches sèches et j’ai déposé son cercueil dans l’eau du lac et avant que les courants ne l’emportent j’ai allumé du feu. »

La jeune fille :

« Ce sont là des rites de tribus que nous avons exterminées après les avoir chassées et contraintes  à abandonner leur environnement. Nous avons fait de leurs enfants et petits enfants nos esclaves… pour qu’ils récoltent pour nous les bananes, le cacao, les épices et le maïs et qu’ils nous ramènent la fourrure, la soie, les défenses d’ivoire après avoir tué les éléphants. »

Le sniper :

« Tuer ! Toujours tuer ! Je vais me tuer moi même pour en finir ! »

La jeune fille ( le quittant) :

« Soigne toi plutôt par la lecture ! »

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SIXIEME TABLEAU

Le sniper ( méditant sur les titres des livres…il en choisit un ) :

« L’Organon…d’Aristote ; » ( Il essaie de lire et hoche la tête ) 

« Trop compliqué, je ne comprends rien ! » (Il remet le livre à sa place et en prend un autre )

« Code d’Hammourabi…2100 avant JC ( il ouvre le livre et se met à lire ) :

« Article 1 : Quiconque tue un homme sera tué de la même façon.

 Article 14 : Si quelqu’un vole un fils à son père et le vend , il sera condamné à mort.

 Article 195 : Si un enfant frappe son père , on lui tranchera la main.

 Arficle 196 : Si un homme crève l’oeil d’un homme alors on lui crèvera l’oeil à son tour. »

Il feuillette encore l’ouvrage et lit :

Article 129 : Si une femme mariée est surprise à coucher avec un autre homme, on doit alors les attraper et les jeter à l’eau. »

(Le sniper remet le livre à sa place.)

« Dans l’eau !…Quel chatiment ! »

(Il prend un autre livre : la Divine Comédie de Dante Alighieri )

« Quel beau titre ! Les dieux aussi se mettraient à rire parfois ! »

(Il remet le livre à sa place )

« Mais où est donc l’autre livre ? »

(Il cherche le livre de Baudelaire, le ramasse par terre, se dirige vers le fauteuil à bascule, s ‘asseoit, tourne les pages et lit :

          Le revenant

Comme les anges a l’oeil fauve,

Je reveindrai dans ton alcôve

Et vers toi glisserai  sans bruit

Avec les ombres de la nuit ;

Et je te donnerai, ma brune,

Des baisers froids comme la lune

Et des caresses de serpent

Autour d’une fosse rampant.

Quand viendra le matin livide,

Tu trouveras ma place vide,

Où jusqu’au soir il fera froid.

Comme d’autres par la tendresse,

Sur ta vie et sur ta jeunesse,

Moi, je veux régner par l’effroi !(3)

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( A peine a t-il fini de lire ce passage que le visage du dirigeant apparaît sur l’écran )

Le dirigeant :

« Tu lis !? »

(Le sniper referme le livre et se lève.)

« Et qu’est ce que tu lis ? »

Le sniper ( montrant le livre qu’il a laissé sur le fauteuil)

« Les Fleurs du Mal…de la poésie ;

Le dirigeant :

« Voilà qui est beau ! Le mal aurait donc des fleurs ! »

Le sniper :

« Autant j’aime cette poésie autant je déteste le poète. »

Le dirigeant :

« Et ton boulot !? »

Le sniper :

« Mon boulot ? »

Le dirigeant :

« Tout le monde se doit de travailler en ce monde ! Lire, se promener le matin, collectionner des boites d’allumettes, ce ne sont là que de simples passe temps ! »

Le sniper :

« Tu as raison,chef ! »

le dirigeant :

« Ca fait un bout de temps qu’on ne t’entend plus tirer ! »

Le sniper :

« Mais… »

le dirigeant ( l’interrompant en hurlant ) :

« Allez ! Prends ton arme !!! ( le sniper obtempère immédiatement ) …100 balles ne suffiront même pas à rattraper ton retard ! »

Le sniper :

« Mais je n’ai que 50 balles ! »

Le dirigeant :

« Utilise les tout de suite, nous t’en donnerons d’autres après ! »

Le sniper :

« Chef, je t’en supplie, épargnons les civils ! Je ne tuerai que ceux qui sont qui sont armés et qui nous attaquent ! »

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Le dirigeant :

« Tous ! J’ai dit tous ! » ( le dirigeant s’absente un moment puis réapparait )

« le sniper de l’immeuble voisin est plus actif que toi ! N’oublie pas que tout relachement sera puni et encore davantage le refus d’exécuter mes ordres ! »

Le sniper :

« A vos ordres,chef ! »

          Le dirigeant disparaît de l’écran, le sniper prend son arme lentement et tout aussi lentement la cale sur le rebord de la fenêtre ; il colle son œil sur la lunette de visée, inspecte les rues,ajuste son tir sur quelque chose qui bouge puis s’arrête subitement en se retournant vers l’assistance( le public).

« Quel vieillard ! Et comme il avance lentement en portant son pain ! …Je vais seulement l’effrayer »

          Avant qu’il ne revienne à la fenêtre on entend un coup au loin.Il regarde de nouveau avec la lunette de son arme puis fait un pas en arrière.

« Merde !…C’est l’autre qui l’a tué ! ( il s’effondre à terre et il y a lumière autour de lui )…Il ressemblait à mon père ! »

          Il pleure, la tête entre les mains. La jeune fille entre et le voit. Elle s’approche de lui et lui caresse les cheveux tendrement comme une mère.

Le sniper ( comme s’il poursuivait un monologue intérieur )

« Lorsque mon père est mort,…. j’avais dix ans. »

La jeune fille :

« Tous nous mourrons, seule la façon de mourir diffère . »

Le sniper ( levant la tête vers elle )

« Aide moi ! Je ne veux plus être la cause de la mort de personne ! »

La jeune fille :

« C’est à toi seul que revient la décision ! »

Le sniper ( jetant loin devant lui son arme )

«  Sais tu ce qu’est l’homme ? »

La jeune fille :

« La réunion des contraires dans un même corps. »

Le sniper :

« Tu veux dire : l’ange et le démon en même temps ! »

La jeune fille :

« Le bien et le mal, la douceur et la cruauté, la raison et les instincts, l’amour et la haine, la compassion et le meurtre tout ensemble. »

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Le sniper :

« Et tout cela est en nous …à l’intérieurde nous ! Quelle misère ! »

La jeune fille :

« Nous sommes les descendants de Caïn. »

Le sniper :

« Je crois que ma grand mère m’a parlé de lui. »

          La lumière change, passant à des tons de bleu ; le trosième acteur entre en scène dans le rôle d’Abel.

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SEPTIEME TABLEAU

La jeune fille/ la sœur :

« Ton frère vient d’arriver, Abel. »

Le sniper/ Caïn :

« Que veux tu ? »

Le 3ième/Abel :

« Nos parents sont morts.Il n’y a plus que nous trois sur cette terre. »

Le sniper/ Caïn :

« Je sais cela. Que veux tu ? »

Le 3ième/Abel :

« Notre race humaine va disparaître…si l’un de nous n’épouse pas l’unique femme qui est ici »

( il indique sa sœur qui recule devant la surprise )

Le sniper/Caïn :

« Elle ne disparaitra pas. Nous sommes les seigneurs de cette terre ? Que veux tu ? »

Le 3ième/Abel :

« Moi…je l’aime. »

Le sniper/Caïn :

« Trés bien…et toi est ce que tu l’aimes ? »

La jeune fille/la sœur :

« De l’amour d’une sœur pour son frère. »

Le sniper/Caïn ( s’esclaffant de rire ) :

« Et moi ? »

La jeune fille / la sœur :

« Toi, tu es mon frère aussi ! »

Le sniper/Caïn ( à son frère ) :

« Tu vois…elle ne t’aime pas. »

Le 3 ième/Abel :

« Ne dis pas cela ! »

Le sniper/Caïn :

«  Mais c’est elle qui le dit ! »

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La jeuhe fille/la sœur :

« Arrêtez de vous battre pour moi ! Nous sommes frères et sœurs. »

Le sniper/Caîn :

« Tu vois cette montagne… »

Le 3 ième/ Abel :

« Le mont Qassioun. »

Le sniper Caïn :

« Le premier qui, partant d’en bas, Damas, parvient au sommet, l’emportera ! »

Le 3ième/Abel :

« J’accepte le défi ! »

La jeune fille/la sœur :

« Je ne suis pas là comme un enjeu entre vous ! Voue êtes mes deux frères ! Moi, je rêve d’un homme qui ressemblerait à mon père mais il n’est pas encore là. »

Le 3ième/Abel :

« Et moi, je rêve d’une femme qui ressemblerait à ma mère et personne d’autre ne lui ressemble plus que toi ! »

Le sniper/Caïn :

« Vous divaguez tous les deux tandis que moi je passe ma journée à chasser les oiseaux pour que vous puissiez manger ! »

Le 3ième/ Abel :

«C’est son droit de rêver comme c’est le mien aussi§ »

Le sniper/Caïn :

« Que ton cœur est naïf, Abel ! Que tes rêves sont mièvre, ma douce sœur innocente !

La jeune fille/la sœur :

« Trêve de moqueries grossières!Toi, tu as choisi la chasse ; lui,il a choisi de semer et de cultiver et moi, je fais la cuisine pour vous deux ! »

Le sniper/Caïn :

« Bon ! Allons y ! Que le combat commence ! »

          Ils se tiennent au bord de la scène, tournant le dos au public ; La sœur siffle le départ, l’écran s’allume pour laisser voir une vidéo de montagnes vues d’avion tandis qu’ils se mettent à courir tous les deux en direction de l’écran au ralenti .Entre des interruptions de lumière on les voit gravir vers un sommet quelconque…puis un moment après, on entend souffler et haleter…

La jeune fille/ la sœur (  comme si elle était une conteuse dans un ancien temple,elle peut porter un masque…elle se tient sous un rayon de lumière sur le balcon, le visage tourné vers l’assistance )  :

« Des bords de la rivière Barada a commençé le combat singulier. Caïn et Abel courent ensemble

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 vers le sommet du mont Qassioun. Tantôt, c’est Caïn qui devance Abel, tantôt c’est son frère…Ils sont de même force mais non de même nature.

Le sniper/ Caïn ( tout en courant ) :

« Renonce à elle et je te donnerai tout ce pays. »

Le 3ième/Abel :

« Ce pays ne m’interesse pas. L’amour seul…est mon pays. »

Le sniper/Caïn :

« Réfléchis un peu mon frère, qui possède le pays de Cham possède la porte d’entrée du monde ! »

Le 3ième/Abel :

« Que m’importent les trônes ! »

Le sniper/Caïn :

« Je te donnerai ma monture, mon épée, mon sabre, ma flèche. »

Le 3ième :

« Je ne désire que son cœur. »

          Ils courent toujours…puis parviennent au sommet, haletants. Abel s’affale sur le sofa, exténué. Caïn , à son tour, lui aussi, lui tournant le dos.

La jeune fille/ la sœur :

«  Ensemble ils sont parvenus au sommet ; Ni vainqueur, ni vaincu ! »

Le 3ième/Abel ( montrant du doigt le bas de la montagne ) :

« Tu vois ce Jardin de Dieu sur la terre…avec ses sept fleuves !? »

Le sniper/Caïn :

«  Je vois Qalamoun ( le mont Qalamoun?) de Dieu…C’est là que Dieu a oublié ces calames et ses tableaux…Ils sont devenus montagnes et c’est ici que mon cœur va devenir roche dure à son tour ! »

La jeune fille/la sœur :

« Surprise !…voilà que tout d’un coup,se saisissant d’une pierre, il en fracasse la tête de son frère ! »

Le 3ième/Abel ( juste avant de recevoir le coup fatal de la crosse du fusil ) ;

« Ah !   Frère ! Toi qui n’en n’a pas eu avant moi et qui n’en n’aura pas d’autre après moi ! »

La jeune fille/la sœur :

« Mais Caïn n’entend pas le cri de son frère. Il continue de le frapper à mort avec la pierre dure ! Il n’entend pas le sanglot de son âme tant son égoîsme l’en défend. La passion de la possession et l’ambition se sont emparé de lui , la passion de garder pour lui seul la terre entière, les femmes, l’eau, le feu, le blé et l’alcool de pomme. »

Le sniper/Caïn ( Il s’assied, épuisé,auprès du cadavre de son frère ) :

« Les aigles ( les vautours ? ), vont le déchirer …puis les chacals hurleront et lui annonceront que je l’ai tué. Je ne veux pas qu’elle le sache. Je vais le cacher dans la forêt. »

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          Il porte Abel sur son dos, descend de la scène. Un filet de lumière éclaire son dos ainsi que le visage d’Abel. Il le porte ainsi à travers l’assistance des spectateurs et sort de la salle…La jeune fille poursuit sa narration.

La jeune fille/la sœur :

« Lorsque Caïn arrive , il voit un corbeau creuser de son bec une tombe pour un autre corbeau comme lui puis il répand au dessus de lui de la terre ; alors il en fait autant. »

          Musique…La jeune fille, exténuée, s’assied sur la chaise du balcon ( ou de la terrasse!).

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HUITIEME TABLEAU

          Le sniper revient par la salle d’où il était parti,épuisé,abattu. Il s’assied en face du balcon( ou de la terrasse )

Le sniper :

« Je t’aime, jeune fille ! »

La jeune fille ( se levant ) :

«L’amour…ultime objet de nos rêves mais d’impossible atteinte !

Le sniper :

« Dès nos premiers mots échangés je t’ai pourtant aimée ! »

La jeune fille :

« Sais tu au moins quel est le plus bel amour, aussi beau que le cristal ?

Le sniper :

« Je doutais de pouvoir connaître un jour l’amour jusqu’à ce que je te rencontre ! »

La jeune fille :

« Le plus bel amour, c’est l’amour impossible. »

          Elle s’enfuit par la porte de la maison ; le sniper grimpe sur le plateau pour se retrouver façe à façe avec le visage du dirigeant sur l’écran ; le sniper s’immobilise , le dos tourné au public.

Le dirigeant :

« On dirait que tu as besoin d’un programme pour ton cerveau ( pour ta petite cervelle!)

Le sniper ( levant les bras ) :

« Mais…. »

Le dirigeant ( lui hurlant au visage ) :

«  Ne m’interromp pas ! » (le sniper baisse la tête )  « Il n’est pas encore né celui qui peut interrompre le chef quand il parle ! Ecoute !

Programme n° 1: Brûle moi tous ces livres ( puis poursuivant sur un ton plus paternel ) « l’hiver arrive…Tu pourras ainsi te chauffer. ( puis, d’un ton péremptoire )

Programme n°2 : tu vas tuer cette jeune fille ( le sniper recule d’un pas ! )

Programme n°3  : tu me fais entendre cent coups tirés avec ton arme ( le sniper recule encore en arrière ) J’adore cette musique, je ne peux pas m’endormir sans elle ! »

          Le visage du dirigeant se fige sur l’écran ; Lumière blafarde ; le sniper prend  le livre de

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 Baudelaire au passage et se dirige vers la porte de la maison; il en sort pour rejoindre un filet de lumière à droite di plateau ; Il se retourne vers une porte imaginaire et fait mine de la frapper avec le livre.

Le sniper ( murmurant )

« Jeune fille ! Jeune fille ! »

La jeune fille ( comme si elle venait de se réveiller ) :

«  Que veux tu ? »

Le sniper ( lui intimant de se taire, un doigt sur la bouche ) :

« Chut ! Moins fort ! Prépare vite un sac à dos et précède moi dans la forêt voisine ! »

La jeune fille ( murmurant ) :

« Je ne comprends rien. »

Le sniper :

« Ils vont nous tuer , toi et moi ! »

La jeune fille :

« Qui a donné cet ordre ? »

Le sniper (lui  indiquant l’écran du doigt) :

« Lui ! »

La jeune fille :

« Le chef ? »

Le sniper :

« Oui, il m’a ordonné de te tuer ! »

La jeune fille :

« Mais j’appartiens à sa communauté ! »

Le sniper :

« Et alors, tu n’en es que plus coupable ! Allons, il n’y a pas de temps à perdre ! »

          Il revient à la maison ; la jeune fille disparaît dans les coulisses….Le sniper feuillette encore le recueil de Baudelaire et se met à lire.

« Et pour finir :…. Le Mort Joyeux :

Dans une terre grasse et pleine d’escargots

Je veux creuser moi même une fosse profonde,

Où je puisse à loisir étaler mes vieux os

Et dormir dans l’oubli comme un requin dans l’onde.

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Je hais les testaments et je hais les tombeaux ;

Plutôt que d’implorer une larme du monde,

Vivant,j’aimerais mieux inviter les corbeaux

A saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.

O vers ! Noirs compagnons sans oreille et sans yeux,

Voyez venir à vous un mort libre et joyeux ;

Philosophes viveurs, fils de la pourriture,

A travers ma ruine allez donc sans remords,

Et dites-moi s’il est encore qulque torture

Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts ! »(4)

          IL se saisit de son arme, s’assied sur la chaise, applique la bouche du canon du fusil contre son front.Il tend la main droite, place un doigt sur la gachette ; Musique ; la lumière baisse ( as soubout? )…Obscurité totale pendant un moment ; le public s’attend à  entendre un coup de feu ; une lumière rouge de laser éclaire le visage du sniper …Bruit d’une déflagration…puis silence…La lumière d’une lampe de poche apparaît dans la salle entre les spectateurs…On reconnaît alors les traits du troisième acteur en tenue de sniper , de véritable tireur d’élite,, portant son arme , il monte sur le plateau et l’écran s’allume laissant apparaître le visage du dirigeant.

Le 3ième/sniper

« Ordre bien exécuté, chef ! »

Le dirigeant :

« N’oublie pas la fille ! »

Le 3ième :

« A vos ordres. »

Le dirigeant :

« et les livres ! »

Le 3ième :

« Bien sûr ! »

Le dirigeant :

« Tu seras récompensé…Mais achève ton boulot ! »

Le 3ième :

« Merci,chef ! »

          Le chef disparaît de l’écran ; le 3ième dirige la lumière de sa lampe sur le cadavre du premier sniper ; il lui donne des coups de pied avec sa chaussure . Il ramasse son arme abandonnée à coté de lui , la met sur son épaule puis tombe sur le recueil de Baudelaire ; Il le ramasse, éclaire une page avec sa lampe et lit à haute voix 

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« Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !

(……)Il ferait volontiers de la terre un débris »(5)

          Le 3ième/ le second sniper rit ; Retour de la lumière blafarde sur la scène. Il se dirige vers une des fenêtres, cale son arme sur le rebord ; on entend des coups de feu répétés indéfiniment ; la jeune fille apparaît au coin de la porte de la maison ; elle porte un sac à dos. A ce moment là, une lumière laser rouge éclaire son front; Elle se baisse comme si elle voulait l’éviter ; elle descent vers la salle, s’avance et finit par disparaître dans la foule des spectateurs. Le rayon laser rouge tente de la suivre tandis qu’elle se déplace entre les rangs , comme si la foule était aussi l’objet de cette chasse ; le visage du dirigeant apparaît sur l’écran, hurlant en s’adressant au 3ième/ le nouveau sniper :

          « Maudit soit tu ! ( le 3ième /le sniper se lève, terrorisé ) Tu l’as laissée s’enfuir (…?) » ( De la main,il donne encore un ordre ) « Brûlez la maison et ses habitants ! Recherchez la jeune fille ! Je la veux vivante ou plutôt…morte et vous ( il montre du doigt l’assistance ) celui qui l’aiderait sera chatié ! »

          Il craque une allumette,l’élève très haut, l’écran est envahi par des flammes énormes tandis que les lumières de la scène et de la salle s’éteignent. On entend des coups de feu, des sifflements de sirènes d’alarme, des grondements de mitraille et de bombardement aérien puis…de sirènes de pompiers et d’ambulances. Obscurité totale. La jeune fille est debout dans la salle, une bougie à la main ; elle monte sur le plateau et annonce :

          « Tout est fini sauf… la guerre ! ( ou bien :  « le spectacle est terminé…pas les guerres ! »)

          Elle prend la main du sniper et le relève ; ils se dirigent vers le troisième qui est mort puis ils reviennent avec lui sur le devant de la scène et saluent l’assistance. Sur l’écran, derrière eux, apparaît l’acteur / le dirigeant( ou le chef ) qui applaudit lui aussi.

                   Besançon, 2018 avant la naissance de la liberté.

  • Baudelaire  « les Fleurs du Mal »livre de poche n°677-1999- pg 50
  • idem pg 61
  • idem pg 114
  • idem pg 120
  • idem pg 50

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